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Isaac Bashevis Singer et le Yiddish

Singi

En lisant Eating Animals, j’ai repensé à Isaac Bashevis Singer, fervent végétarien [1] et vénérable auteur.  J’étais tentée d’écrire sur son choix de vie, mais puisque d’après ses propres mots, « c’est l’œuvre qui compte, pas le bonhomme », je vais simplement évoquer son rôle de protecteur de la langue yiddish.

Singer a toute sa vie été un partisan zélé du yiddish. Il l’a écrit, parlé et défendu. Grâce à son discours lorsqu’il reçu le prix Nobel de littérature en 1978, des mots yiddish ont même résonné dans les oreilles du monde entier. Son œuvre est devenue un refuge dans le passé. Elle perpétue la vie du shtetl et l’univers mystique et populaire des ashkénazes d’Europe Centrale. Mais l’attitude de Singer quant à la traduction de ses œuvres a pu sembler paradoxale.

Le nombre de locuteurs yiddish diminuant sans cesse, la question de la traduction de son œuvre s’est posée dès 1953. L’écrivain Saul Bellow avait, à la demande de deux critiques littéraires, traduit Gimpfel le naïf. Malgré le succès rencontré par cette traduction auprès du public anglophone, Singer s’opposa à ce que Bellow continue de traduire ses ouvrages. Singer qui disait « On ne raconte pas aux autres les histoires qu’on se dit entre soi » préféra entreprendre lui même une transposition de son travail afin de créer une œuvre à part, une oeuvre anglaise, que « Goyim » et Juifs assimilés peuvent comprendre sans difficulté. Il a ainsi supprimé certains mots intraduisibles, ou certaines références trop pointues qui auraient perdu leur sens en étant traduits.

Cette transposition n’est en aucun cas une trahison, c’était au contraire une manière de ne pas dénaturer cette langue qui est d’une richesse lexicale et culturelle inaccessible aux non initiés. Le yiddish est le fruit d’un mode de vie. Pour Singer, si vous n’avez pas grandi dans le shtetl, si vous n’avez pas étudié au heder, discuté avec Moishe le laitier et senti la douce odeur vanillée de la halla du shabbat, il est impossible de pénétrer la littérature yiddish. Isaac Bashevis Singer a donc, plus que tout autre auteur, protégé la langue Yiddish et sensibilisé le monde au Yiddishkeit. Cela en souvenir d’un temps révolu mais aussi peut être dans le fol espoir de voir un jour le shtelt renaître de ses cendres…

« Les fantômes aiment le yiddish et, pour autant que je sache ils le parlent tous. Je ne crois pas seulement aux démons et aux autres esprits, mais aussi à la résurrection. Je suis sûr qu’un jour des millions de cadavres parlant yiddish se lèveront de leurs tombes, et la première question qu’ils poseront, ce sera : « quel est le dernier livre publié en yiddish ? » I.B. Singer – Extrait du discours du Prix Nobel de Littérature, 1978


[1] « Vegetarianism is my religion. I became a consistent vegetarian some twenty-three years ago. Before that, I would try over and over again. But it was sporadic. Finally, in the mid-1960s, I made up my mind. And I’ve been a vegetarian ever since. »

From Food for the Spirit: Vegetarianism and the World Religions, by Steven Rosen (Bala Books, 1987, ISBN 0-89647-021-0).

Preface – by Isaac Bashevis Singer

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